Le Chercheur d’ondes by Noëlle Roger

Le Chercheur d’ondes by Noëlle Roger

Auteur:Noëlle Roger [Roger, Noëlle]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Roman, Fantastique-Science-Fiction-Anticipation, Littérature suisse romande et des régions voisines, 20e
Éditeur: Bibliothèque numérique romande
Publié: 2024-01-02T00:00:00+00:00


VI

— Ah ! qu’il fait bon, qu’il fait bon sentir le soleil sur sa peau !

À l’entrée du petit jardin où les gargouilles de Notre-Dame dessinaient des ombres baroques, Claudie se déganta, et elle jouait comme une enfant à enfermer des rayons dans ses doigts.

Depuis le matin elle marchait au hasard, à travers les rues, si légère et si jeune qu’elle ne se reconnaissait plus. Elle se penchait sur la Seine comme si elle ne l’avait jamais vue. Elle souriait aux arbres, aux fleurs, aux magasins, aux passants. La rencontre d’un couple enlacé l’inonda d’un singulier bonheur. Elle acheta des roses rouges à un vieux camelot qu’elle aurait voulu remercier d’offrir ces bottes splendides. Elle pensait : « Comment ne me suis-je jamais aperçue que la vie est si belle, si douce et que chaque instant est une caresse… Comment n’ai-je jamais été moi ? » Elle usait de précautions pour s’approcher de cette femme inconnue qui s’était levée en elle avec une soudaineté miraculeuse et elle essayait de l’interroger : « Qui es-tu ? D’où viens-tu ? Es-tu vraiment moi-même ? Tu ne me quitteras plus ? Tu ne t’en iras plus de moi ! » Elle croisait les mains contre sa poitrine pour emprisonner un trésor. À quel point son existence passée apparaissait vide, médiocre, saturée d’ennui ! Sans doute n’avait-elle pu la supporter qu’à travers un demi-sommeil. N’avoir jamais été une enfant joyeuse, une adolescente inquiète, une jeune femme comblée et puis se découvrir un tel appétit de bonheur, tendre les bras à toutes les joies, quel émerveillement !

Était-ce l’amour qui opérait ce prodige ? Avait-elle donc aimé Lanouze si longtemps sans le savoir ?

Elle se mit à rire tout à coup et reprit sa promenade enchantée. Elle monta l’avenue de l’Opéra, plongeant avec délices au milieu de la foule. Une heure, déjà ! Il serait amusant de manger. Rue de la Chaussée-d’Antin elle entra dans un petit bar rempli de midinettes qui déjeunaient à la hâte et debout. Claudie découvrit une table, s’assit, demanda un sandwich, et il lui semblait se chauffer à leur jeunesse. Un mot que prononçait l’une d’elles la fit tressaillir tout à coup :

— Mardi… mais oui, c’est mardi aujourd’hui.

Mardi… le jour de la clinique.

Une main qui se pose sur votre épaule ; la longue habitude dont on ne peut s’affranchir… le geste automatique de se jeter dans un taxi et cette pensée harcelante qui semble éteindre tous les lustres de la joie : « Gérard… il m’attend. Il sera fâché… Je suis en retard. »



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